« Abbaye de Lagrasse, entre masques et mensonges », de Jean-Michel Mariou : dans l’Aude, la bataille des chanoines

« Abbaye de Lagrasse, entre masques et mensonges. Enquête sur les soldats de Dieu », de Jean-Michel Mariou, Golias, 88 p., 12 €.
Cela débute comme un roman noir et s’achève par un réquisitoire contre la montée des idées d’extrême droite. Le 23 juin 2006, raconte Jean-Michel Mariou au début d’Abbaye de Lagrasse, entre masques et mensonges, Roger Péquigney, 67 ans, dit Wladimir de Saint-Jean, a rendez-vous avec l’évêque de Carcassonne, Alain Planet. Deux ans plus tôt, il a installé dans l’abbaye de Lagrasse (Aude) la communauté qu’il a fondée en 1969, les chanoines de la Mère de Dieu. Une communauté traditionaliste, qui célèbre le rite tridentin, en vigueur avant le concile Vatican II.
S’il a rendez-vous ce jour-là avec Mgr Planet, c’est qu’il aurait eu des « comportements inappropriés » avec de jeunes chanoines installés à Lagrasse. Comprendre : harcèlement moral et sexuel. L’évêque le traite de « malade » et lui demande de signer « immédiatement une lettre de démission pour raison de santé ». C’est ce point précis qui va déterminer toute la suite de l’histoire, cette « volonté qu’elle ne soit pas rendue publique et surtout pas rendue à la ­justice des hommes », écrit Jean-Michel Mariou.
Roger Péquigney a bien été condamné par l’Eglise en 2012, à la suite d’une enquête canonique. Reconnu coupable d’abus d’autorité et de fautes contre la chasteté, il a été interdit de tout ministère et renvoyé de la communauté. Mais l’auteur s’interroge : « Pourquoi [les] chanoines de Lagrasse et leur évêque ont[-ils] gardé le silence pendant près de vingt ans ? », jusqu’à l’entretien que le père abbé Emmanuel-Marie, actuel dirigeant de la communauté, a accordé au mensuel catholique traditionaliste La Nef, en janvier 2024, dans lequel il revient sur « l’épreuve difficile » traversée par la communauté, et reconnaît ces faits.
C’est l’un des axes du livre-enquête du journaliste, éditeur, producteur de plusieurs émissions télévisées et surtout habitant de Lagrasse. Là, depuis vingt ans, il scrute les « soldats de Dieu ». Le cadre : Lagrasse, donc, et ses 530 habitants, dans les Corbières, à une trentaine de kilomètres de Carcassonne. Le fil rouge ? Une bataille qui oppose, dans une abbaye coupée en deux, deux mondes aux antipodes l’un de l’autre. D’un côté, les chanoines et leurs idées conservatrices. De l’autre, Le Banquet du livre, hébergé par le Conseil départemental. Fondée en 1995, autour des éditions Verdier, par d’anciens militants d’extrême gauche, la manifestation rassemble chaque année chercheurs et écrivains autour d’un thème de réflexion. Les deux n’ont pas d’autre choix que de partager l’abbaye.
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